Une deuxième nouvelle, celle-là inspirée par des événements récents. Comme la précédente, elle n'a été ni relue, ni corrigée par qui que ce soit d'autre que moi. Enjoy.
La Faucheuse
C'est une petite vieille assise dans une chaise berçante. Elle parait calme et même amorphe, mais si l'on s'approche d'elle, on peut voir que ses mains tremblent. On peut aussi voir ses yeux, fous de panique comme si le Diable en personne se tenait devant elle.
Il y a cinq ans, elle a fait une crise cardiaque, et elle en est revenue transformée. Pas vraiment pour le mieux, d'ailleurs. Elle s'est réveillée à l'hôpital et sa première vision a été un forme vêtue de noir, penchée sur elle, faux à la main. Depuis ce temps, dès qu'elle est seule, elle voit la Faucheuse.
Au début, elle a cru être encore sous le choc d'avoir frôlé la mort. Elle n'osait pas parler de ses visions aux infirmières ou à ses enfants qui venaient la visiter. Cependant, chaque soir, elle s'endormait sous le regard vide de la Faucheuse. Les mois passaient, et la Faucheuse se faisait de plus en plus présente. Dès que ses amies quittaient sa chambre après leur partie de cartes quotidienne, la vieille voyait la Faucheuse ouvrir la porte, entrer, puis s'asseoir sur le lit pour l'observer.
La petite vieille s'est mise à trouver un foule de prétextes pour retarder le départ de ses amies, de ses enfants, de quiconque venait la voir. Trouvant ce comportement étrange, ses enfants lui ont demandé ce qui se passait. Ils ont été surpris d'entendre leur mère dire: "La Faucheuse veut me prendre! Dès que vous partez, elle vient et elle me regarde!"
Alarmés, les enfants ont appelé des médecins, des psychologues, des psychiatres. La petite vieille les a tous vus sans rechigner, en espérant que l'un d'eux puisse éloigner la Faucheuse. De toute façon, pendant qu'elle était ballotée d'un spécialiste à l'autre, la vieille n'était pas seule. Alors elle endurait les examens et les questions.
Le verdict est tombé: dépression causant des crises d'angoisse. La petite vieille a eu un regain d'espoir. Un dépression, ça se soigne. On vous donne des médicaments et les visions disparaissent. Ce n'est pas grave de prendre des médicaments contre la dépression, contre l'insomnie, contre l'anxiété, contre tout, si la Faucheuse disparait.
La petite vieille a religieusement pris ses médicaments pendant plusieurs semaine, mais la Faucheuse n'est pas partie. Au contraire, la forme noire est devenue de plus en plus présente. La vieille avait de plus en plus peur. Au fond d'elle, elle savait que ses jours étaient comptés. Elle parlait à tout le monde de la Faucheuse, mais, bien sûr, personne ne la croyait. D'autant plus que le spectre disparaissait chaque fois que quelqu'un entrait dans la pièce.
La vieille a alors adopté le fauteuil qui trônait en plein milieu du salon de la maison de retraite où elle habitait. Au moins, dans cette pièce, il y avait toujours du monde, donc la Faucheuse n'osait pas se montrer. Cependant, le soir, une fois le salon vide, il lui fallait toujours retourner seule dans sa chambre. Et à ce moment, la Faucheuse n'hésitait pas. Elle entrait et s'assoyait sur le lit, puis posait sa faux sur ses genoux. Un soir, le spectre a poussé l'audace jusqu'à parler.
"Tu vas aller en enfer, ma vieille!", s'est mis à chantonner la Faucheuse d'une voix d'outre-tombe. "Tu vas aller en enfer!"
C'en était trop! La petite vieille s'est précipitée hors de sa chambre et, ce faisant, a trébuché sur sa robe de nuit et s'est étalée de tout son long sur la moquette sale de la maison de retraite en se cognant la tête sur le mur. Retour à l'hôpital en ambulance. Un médecin a demandé à la vieille comment elle était tombée: elle lui a parlé de la Faucheuse, qui s'amusait à la narguer! Inquiet, le médecin l'a référée à un collègue psychiatre, après s'être assuré que sa blessure à la tête n'était pas sérieuse.
Une fois encore, la petite vieille a été examinée par des psychologues et psychiatres, et ils en ont conclu que sa dépression s'aggravait. Ils ont décidé de la garder à l'hôpital, dans une chambre double du secteur psychiatrie. La vieille était prise avec une voisine de lit folle qui parlait sans arrêt, nuit et jour, mais il y avait un avantage: elle n'était plus jamais seule.
Et donc, la Faucheuse ne se montrait plus.
Les médecins ont été grandement impressionnés par les progrès de la vieille, et ils ont déterminé que sa dépression était sous contrôle. Retour à la maison de retraite… et retour de la Faucheuse. "Je vais mourir!" hurlait la vieille dès qu'on la ramenait à sa chambre le soir. "Ne me laissez pas seule! Je vais mourir!" Rendus perplexes par les yeux exorbités de la petite vieille et par ses hurlements, les employés de la maison de retraite l'ont retournée à l'hôpital pour observation.
Cette fois, elle a eu droit à une chambre privée. Et dès que l'infirmière a quitté la pièce, la Faucheuse y est entrée. "Tu vois, ma vieille? Tu es folle!" s'est exclamé le spectre de sa voix gutturale. "Ton heure approche! Tu vas aller en enfer!"
La vieille s'est mise à hurler comme une possédée. L'infirmière est revenue en courant, puis a appelé le psychiatre d'urgence. Le psychiatre, arrivé une heure plus tard, a été éberlué de voir à quel point l'état de sa patiente s'était détérioré en si peu de jours. "Ses crises d'angoisse deviennent incontrôlables", a-t-il dit. "Il faut l'interner."
Depuis ce jour, la petite vieille vit dans l'aile psychiatrique d'un hôpital, sous sédatifs. Chaque fois qu'elle sort un peu de sa stupeur, elle voit la Faucheuse rire au pied de son lit en aiguisant sa faux.
Parfois, elle a des moments de lucidité assez longs pour se demander comment elle en est arrivée là.
Ce qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle est morte il y a cinq ans, et qu'elle est en enfer.
jeudi 12 avril 2007
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