Encore une petite nouvelle, inspirée par un fait divers au téléjournal de lundi.
Comme d'habitude: jamais relue, jamais corrigée, jamais commentée. Enjoy!
À un cerveau de l’éternité
Le jour de mes vingt ans, j’ai signé une carte de dons d’organes. Vous savez, ces petites cartes qui permettent à des gens de prélever vos yeux, votre foie, ou je ne sais quoi d’autre à votre mort? Eh bien, je me suis dit qu’apposer ma signature sur l’une d’elles serait une bonne action et permettrait peut-être de sauver la vie de quelqu’un pour un coût négligeable. En effet, une fois morte, à quoi bon conserver tous mes morceaux?
Je ne le savais pas, mais cette question allait revenir me hanter.
J’avais complètement oublié ma petite carte lorsque, deux ans après sa signature, ma voiture s’est fait emboutir par un ivrogne à 100 kilomètres à l’heure sur l’autoroute. J’ai vu une Jeep verte, puis de la vitre cassée, puis du noir. J’ai repris conscience dans un milieu très blanc et lumineux. À côté de moi était assis un homme d’une beauté stupéfiante.
Ça y est, je suis morte et ce gars-là est un ange, me suis-je dit à ce moment.
"Vous avez raison, mademoiselle. Vous êtes morte et je suis un ange" a-t-il répondu d'une voix égale à ma réflexion non dite. J'avoue que ça m'a plutôt secouée. Non seulement ce bel Apollon lisait-il mes pensées, mais il venait de m'annoncer ma mort avec toute la sollicitude que j'aurais consacrée à un vieux papier sur le trottoir.
Aïe! Ça, ça fait plus mal qu'un accident de voiture.
"Alors… où suis-je?" ai-je demandé.
"Dans un cul-de-sac, car il y a un problème avec votre dossier ", a répliqué l'ange, toujours sans l'ombre d'une émotion. Ma foi, il avait presque l'air d'un bureaucrate ennuyé! "Vous avez eu une bonne vie, ce qui vous donne le droit d'aller au Paradis, mais il vous est cependant impossible d'y avoir accès."
"Pourquoi?"
Sans un mot, il a pointé ma tête. J'y ai porté mes mains… et je l'ai immédiatement regretté. Quelques centimètres au-dessus des sourcils, là où je me se serais attendue à trouver des cheveux, il n'y avait que du vide. Pas de cheveux, pas de tête, rien! L'os du crâne s'arrêtait là, tel le rebord d'un bol vide, et l'intérieur ne contenait que de l'air!
"Il y a eu un petit problème, après votre mort." L'ange aurait presque eu l'air de s'amuser s'il n'avait pas eu cet air hautain et vaguement irrité. "Vous avez signé une carte de dons d'organes, donc, à votre décès, votre foie, votre cœur et votre cerveau ont été prélevés. Le foie et le cœur ne posent pas particulièrement de problème, mais l'absence de cerveau vous empêche d'entrer au Paradis, et ce même si Dieu vous a pardonné tous vos péchés et a jugé que votre vie a été vécue pour le bien.
"Vous voyez, quiconque accède au Paradis réintègrera son corps en ressuscitant au Dernier Jour. Pour la plupart des gens qui sont décédés d'une mort violente ou des suites d'une maladie, il faut simplement guérir ou régénérer certains membres ou organes, mais un cerveau manquant pose un défi tout différent puisque ses neurones contiennent une partie de l'âme. En bref, mademoiselle, puisque vous n'avez pas de cerveau (et ce, même si vous l'avez donné pour aider votre prochain), vous ne pourrez pas réintégrer votre corps au Dernier Jour, donc vous ne pouvez pas être admise au Paradis."
Je ne sais pas combien de temps je suis restée là sans réagir, mais ça a sûrement été très long. Ensuite, deux questions inévitables se sont imposées à moi.
"Mais comment est-ce que vous pouvez savoir ce que je pense si je n'ai plus de cerveau?"
"Mademoiselle, votre corps est enterré dans un cimetière où il est en train de se décomposer. Présentement, vous n'êtes qu'une âme, et je lis les âmes. Votre cerveau ne sera requis que pour vous ressusciter au Dernier Jour."
"Et… qu'est-ce qui va m'arriver, alors?"
"Nous pourrions vous envoyer en Enfer, mais il s'agirait d'un châtiment bien trop impitoyable pour une personne telle que vous. Nous pourrions essayer de récupérer votre cerveau et de le ramener à votre sépulture, mais il a été découpé en fines tranches, à l'heure qu'il est, donc c'est hors de question. Vous pourriez aussi vous réincarner et ainsi avoir un nouveau corps, mais vous ne pratiquez pas la bonne religion pour cela et il est trop tard pour vous convertir au Bouddhisme. Nous pourrions faire de vous un ange, donc vous ne ressusciteriez jamais, mais pour ça, il aurait fallu que vous soyez une sainte, ce qui n'était malheureusement pas votre cas. Il ne vous reste donc qu'une possibilité."
La bonne nouvelle, c'est que je n'allais pas me retrouver en Enfer. Au-delà de ça, par contre, les choses ne semblaient pas très bien se présenter. En fait, ça faisait plutôt peur. Je ne pensais pas que les anges pouvaient faire peur.
"Et quelle est cette possibilité?"
"Le néant", a répondu l'ange avec un air de finalité. "Vous disparaîtrez comme si vous n'aviez jamais existé."
Je ne m'étais pas imaginé qu'entendre cette phrase puisse me rendre triste. De mon vivant, tout en croyant en Dieu, j'avais toujours plus ou moins pensé que j'allais disparaître à ma mort. Mais je suis morte, et pourtant j'existe encore!
Et dans quelques secondes, je vais disparaître à jamais.
J'ai peur.
Tout ça pour une signature sur une carte de dons d'organes.
Parfois, on ne sait vraiment pas ce que l'on fait.
mardi 24 avril 2007
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